L’Eglise Saint Etienne
SAINT ESTEVE DEL PEDREGUET
DE LOINTAINES ORIGINES
Les recherches minutieuses de l’abbé A. Cazes lui ont permis de faire remonter notre église au moins au Xème siècle, puisque la première mention écrite connue date de l’an 982 il s’agit d’une donation à l’abbaye de Cuixà d’un alleu confrontant d’un côté “la terre de St Etienne”. Cette première église St Etienne préromane occupait-elle le même emplacement que la nôtre ? Rien n’est moins sûr, dans la mesure où un acte de 1016 parle de la “vieille église”. Ce qui nous paraît à peu près évident, c’est que la construction de l’église ne peut être dissociée de celle du château, auquel elle était accolée à l’ouest. Si nous voulons nous faire une idée de la forme et des dimensions de l’église médiévale, il nous la faut imaginer orientée d’ouest en est, vraisemblablement d’un côté à l’autre de la nef de l’actuel édifice.
Le clocher jouait pour sa part un rôle important dans la vie communale : construit à la manière d’un donjon, il avait à l’origine un rôle défensif autant que religieux, et sa proximité du château (dont l’entrée se situait dans l’actuelle rue de la Neige) confirme si besoin était le rôle militaire de cette construction. Dans nos villages catalans généralement privés de beffrois, le clocher servait aussi aux laïcs : on s’y réunissait et l’on conservait les documents importants dans une salle dont chacun des trois consuls possédait une clé. Là aussi étaient enfermés les reliques et le trésor de l’église. Construit à une époque qui nous demeure inconnue, le clocher fut réparé et exhaussé à la fin du XIVème siècle, et on peut penser qu’un certain nombre d’aménagements ultérieurs datent du XVIIème siècle. Il se présente sous la forme d’une tour massive et quadrangulaire. Le premier niveau, entièrement-en galets de rivière, est aveugle, ainsi que l’étage supérieur. Au-dessus, un étage intermédiaire est éclairé par une large fenêtre sur les quatre faces. Deux étages supérieurs sont percés sur chaque face de deux fenêtres géminées. Le dernier étage, enfin est crénelé, les merlons étant terminés par des pyramidions. Le marbre a été largement utilisé à des fins décoratives : pierres d’angles et embrasures des fenêtres ont fait appel à ce matériau noble qui donne à l’édifice des reflets roses accentués par la lumière du couchant.
Bien entendu, on ne peut parler du clocher sans évoquer les cloches, d’autant plus remarquables que l’église d’Ille possède la particularité d’avoir un carillon de 16 cloches, allant du sol grave au ré, soit une octave et demie donnant toutes les notes naturelles, plus le do et le fa dièse. Il a été inauguré en 1875. Le gros bourdon qui donne le fa dièse grave est indépendant et a été fondu en 1757 (une autre cloche date de 1766). Ces cloches étaient manoeuvrées à l’origine à l’aide de leviers et le sonneur devrait les actionner à coups de poing et de pieds, car il y a également un pédalier. Leviers et pédaliers étaient reliés aux battants des cloches au moyen de gros fils de fer. Il fallait gravir 116 marches pour être à pied d’oeuvre. Plus tard, le chanoine Bonafont fit actionner une partie du carillon par un clavier électrique placé dans une chapelle latérale de l’église et inauguré le 22 septembre 1933. Aujourd’hui, bien sûr, tout est réglé depuis la sacristie, et les carillonneurs ne sont plus qu’un souvenir déjà lointain.
Quant au nom même de l’église, il ne pose pas de problème a priori, chacun connaissant St Etienne (en catalan St Esteve) et son martyre : Etienne était un diacre ordonné par les apôtres pour exercer le ministère. Il faisait beaucoup de miracles, s’attirant ainsi la colère puis la haine des prêtres juifs, qui décidèrent de le vaincre dans la discussion, par l’usage de faux témoins, puis enfin par les tourments physiques : ils se jetèrent sur lui, et, l’ayant entraîné hors de la ville, ils le lapidèrent. Voilà pourquoi la plupart des représentations du saint le montrent tantôt avec une pierre sur la Tete, tantôt avec un livre sur lequel sont déposées trois pierres, ou encore, comme au fronton de notre église, dressé sur un tas de pierres. A partir du XVème siècle, l’église d’Ille commence à être appelée dans les textes “Sans Esteve del Pedreguet”. Ce terme de “pedreguet’ pourrait, selon certains, désigner un tas de pierres sur lequel aurait été construite l’église ; il serait alors une forme roussillonnaise du catalan “pedreguer”. Pour notre part, nous aurions tendance à préférer une version apparemment plus logique, et à y voir une déformation de “pedregat”, lapidé, ou bien encore le même “pedreguet”, mais servant à désigner l’ensemble des pierre jetées sur le diacre. Il fallait en effet distinguer cet Etienne d’autres saints portant le même nom, par exemple St Etienne pape, un autre martyr fréquemment prié au Moyen Age.
Pour le reste, nous savons assez peu de choses de notre église avant le XVIIIème siècle. Emile Delonca nous apporte toutefois dans son ouvrage quelques précisions intéressantes concernant la présence d’un cimetière. Voici ce qu’il écrivait en 1947, après avoir signalé que le cimetière se trouvait d’abord au sud de l’église :
“En creusant, il y a une cinquantaine d’années, un puits dans un immeuble à 30 mètres environ au sud du portail de l’église actuelle, des ouvriers découvrirent une tombe dallée comme celles récemment mises au jour près de l’église de Regleille. Dernièrement encore, en exécutant des travaux près de la porte de la Fontaine, les fouilles ont fait apparaître des ossements, ce qui tendrait à prouver que le cimetière s’étendait aussi vers le nord… ”
Donc, au Moyen Age, on enterrait les morts autour de l’église St Etienne, mais on les enterrait aussi auprès de la Rodona, où l’on avait sans doute plus de place pour le faire. Précisons d’ailleurs que, selon l’abbé Bonet, jusqu’au XVIème siècle, la Rodona et St Etienne constituèrent deux paroisses distinctes. Il n’empêche que l’église paroissiale d’Ille était bien celle de St Etienne, et que ses dimensions d’alors ne lui permettaient guère d’accueillir une population de plus en plus importante. Voilà pourquoi, au XVIIème siècle, poussée par le mouvement issu du concile de Trente, la population illoise envisage d’agrandir son église, voire de la reconstruire totalement. Il faudra plus d’un siècle pour mener à bien ce projet et pour aboutir à l’édifice actuel. Avant de nous intéresser aux étapes de sa construction, précisons qu’on a conservé bien peu de vestiges de l’ancienne église. Signalons pourtant, au fond de l’église, près de l’entrée, une plaque funéraire datée de 1289, assez semblable à celle d’Ava de Fenollet dans la chapelle de l’Hôpital, et dédiée à un nommé Arnau Gasal : l’inscription nous précise que cet illois avait fait édifier dans l’église une chapelle dédiée à la Vierge. Devant la chapelle de l’Immaculée Conception, une dalle mortuaire de marbre rouge remonte à l’année 1604 et fut peut-être déplacée lors de reconstruction de l’église : il s’agit de la tombe d’un bénéficier des églises d’Ille, Esteve Marsal. Pour le reste, à l’exception sans doute d’un tableau représentant St Antoine de Padoue dont nous reparlerons plus loin, on a fait vraiment table rase du passé.
LES LONGUES ETAPES DE LA CONSTRUCTION
Les renseignements qui suivent sont pour la plupart empruntés au remarquable ouvrage d’Emile Delonca. On y apprend notamment que la construction de l’édifice fut envisagée dès la première moitie du XVIIème siècle, puisqu’en 1645 Joseph Aleriu y Senesplada envisage de léguer tout ou partie de sa fortune pour la nouvelle église, si “a les hores comenssada serà Mais apparemment rien n’est fait avant 1664, année où les consuls et conseil général de la ville décident de lever un impôt afin de mener à bien les travaux. Les nobles, qui ne sont pas soumis à cet impôt, promettent toutefois de contribuer à l’ouvrage. La même année, on passe un contrat avec Miquel Laffont “pica-pedrer” de Bula, pour la fourniture de pierres d’angle prévues en marbre. Et puis il faut songer à exproprier les propriétaires de maisons riveraines. On trouve, à la date du 13 juillet 1664, les actes d’achat concernant une maison “en lo carrer del moli de l’oli” ; on achète une autre maison “devant del portal de la font, adjunta a la fabrica ab Io castel del vescomte, y ab lo carrer de la font” ; une troisième maison enfin est située “en lo carrer d’en pujol “. On peut donc penser que les travaux commencèrent dès l’année 1665. En 1667, on fait construire à la Font del Bolès un four à chaux dont la production doit servir exclusivement aux travaux de l’église, et l’on engage pour cela trois ouvriers venus de Bélesta.
Cette première étape des travaux paraît avoir été menée assez lentement et sans grand enthousiasme. Les ouvriers spécialisés engagés donnent des soucis à la population, qui se plaint de leurs nombreuses déprédations dans la campagne, et met peu d’empressement à les héberger comme elle y est tenue. Parmi les anecdotes, signalons cette année 1685 où tout le monde arrête les travaux pour chercher un hypothétique trésor enfoui sous les ruines de l’ancienne église. Malgré tout, en 1697, les travaux sont suffisamment avancés pour qu’on envisage de célébrer une première messe solennelle dans l’église neuve. Le procès verbal de la cérémonie figure en détails dans le Livre Vert. Les fêtes, présidées par l’évêque Mgr de Flamenville, durèrent trois jours, les cérémonies religieuses étant entrecoupées de réjouissances populaires. Le texte se termine par un vibrant hommage aux consuls de la ville, sans lesquels, pendant longtemps encore, il n’y aurait pas eu de messe dans l’église nouvelle. Toutefois; les travaux sont encore loin d’être achevés et, jusqu’en 1774, on va continuer les étapes longues et coûteuses de cette construction.
Au début du XVIIIème siècle, on fait appel à des artisans venus de Vich, la famille Morato : en 1702, Joseph Morato est choisi “pour travailler et tracer l’ouvrage” de l’église. C’est pour lui l’occasion de modifier certains détails du plan primitif, notamment l’entrée : celle-ci était en effet prévue au même niveau que le dallage de l’église, et la rue d’accès aurait alors présenté un plan incliné du plus fâcheux effet ; d’où l’idée d’élever le niveau de la rue et de faire des marches de descente dans le porche de l’église. En 1712, Isidore Morato, frère du précédent, lui succède dans l’emploi “maistre majeur des massons de la fabrique de la paroissiale église St Etienne “. Notre homme s’est d’ailleurs fixé à Ille, où il a épousé en 1709 une fille Mas. En 1714 enfin, Jacint Morato, sculpteur, est choisi pour sculpter le buffet de l’orgue. Mais les travaux, faute d’argent, ont du mal à avancer. Il reste en particulier à achever le choeur et à construire le maître-autel. Ce sera chose faite à partir de 1735.
Deux contrats de cette année-là évoquent la construction du maître-autel : le premier est signé avec “le sieur Louis Baux, maître marbrier de la ville de Caunes en Languedoc”. Celui-ci s’engage, moyennant la sommme de 5500 livre, à “faire tout le travail de marbre qui sera nécessaire et qui convient pour le maître-autel de l’église de Saint Etienne de la ville d’Ille, ainsi et conformément au dessein et plan pour la construction du dit maître-autel fait par le sr Josph Cantaire, esculpteur de Perpignan… “Quant à Joseph Cantaire, dont il nous faut préciser qu’il était natif d’Ille, son contrat porte sur une somme de 3500 livres. Une fois l’ouvrage achevé, la nouvelle église est célébrée en grande pompe le 18 novembre 1736 par l’évêque d’Elne. A nouveau, le Livre Vert nous retrace la cérémonie : le cortège, formé à l’église des Carmes, comprenait une soixantaine de prêtres suivis par la foule des fidèles. Tous escortèrent l’évêque jusqu’à la porte de l’église, où il procéda aux cérémonies rituelles. Après un sermon prononcé par le père Fontouge, prieur du couvent des Cordeliers, on déposa aux quatre angles de l’autel des reliques de quatre saints: Félix, Bénigne, Nontinande et Simplice, quatre martyrs des premiers temps de la chré-tienté.
Mais l’église n’est toujours pas achevée. Il reste à construire la plupart des autels des chapelles latérales, dont nous reparlerons plus loin, ainsi que la façade et les chaires. Certes, la plus grande partie de la façade avait été déjà faite par les Morato, ainsi que l’atteste la date de 1720 figurant au sommet de l’édifice. Mais il fallait du marbre à un édifice que l’on voulait luxueux : ce fut l’oeuvre du sculpteur Chauvenet qui, entre 1769 et 1771, réalisa le portail, le tambour et des éléments du fronton pour la somme de 4000 francs. Le même sculpteur (auteur également du maître-autel de Vinçà) réalisa en outre pour 2000 francs les deux chaires de marbre qui ornent la nef : cela se passait en 1774. A cette date, enfin, on peut dire que la nouvelle église St Etienne était achevée. L’édifice, payé par la générosité de certaines familles nobles ou assimilées, mais aussi, ne l’oublions pas, par de lourdes impositions prélevées sur la population modeste sans qu’on lui ait demandé son avis, était grandiose, digne de rivaliser avec l’église de Prades, construites dans des conditions analogues et dans le même souci de grandeur et de luxe. Faut-il en remercier cette “foi qui peut déplacer des montagnes”, ou au contraire accuser l’orgueil des commanditaires ? Nos lecteurs jugeront en fonction de leur propre sensibilité.
ARCHITECTURE DE L’EDIFICE
Les dimensions monumentales de l’église lui donnent en effet l’aspect d’une cathédrale : une nef large de 32 mètres et longue de 52, une voûte haute de 22 mètres, sans oublier le clocher qui s’élève à une quarantaine de mètres. L’extérieur offre des aspects variés : et d’abord la façade, dont il est hélas quasi impossible d’avoir une perspective d’ensemble permettant de mieux ressentir les effets recherchés par les constructeurs. Nous avons dit plus haut que le granit s’y mêlait au marbre. Cette façade, nous l’avons dit, fut construite en plusieurs étapes, ce qui pourrait expliquer une certaine diversité de styles, qui ne se fait pourtant pas trop ressentir sans doute Chauvenet, qui réalisa le portail vers1770, eut-il le souci de ne pas contrarier l’esprit de ses prédécesseurs. Ce qui fut terminé en 1720 offre un aspect typiquement baroque, nous n’en voulons pour preuve que ce fronton brisé qui domine l’édifice, le faisant ressembler à toutes les églises d’Amérique latine construites vers la même époque, ou tout simplement à la façade de l’Hôpital d’Ille, édifiée elle aussi vers les années 1700. Complément indispensable de l’ensemble, cinq boules de granit, dont une au milieu du fronton font de notre façade un ensemble plutôt hispanisant. On est cependant demeuré assez sobre, avec ces faux pilastres terminés par des chapiteaux composites qui se retrouvent autour du portail, preuve qu’on a eu le souci d’une unité d’ensemble. Deux fenêtres entourées de marbre ont été murées. Notons aussi ce vestige assez bien conservé du XVIIIème siècle, qui consiste en rameaux peints évoquant les noms de ceux qui sans doute contribuèrent largement à la construction du monument : de gauche à droite, Bonafos, Ramel, Albert.
Le portail en lui-même mérite notre intérêt : on y reconnaît ce fameux marbre de Caunes, tant à la mode au XVIIIème siècle. Mais on a fait aussi un important usage du marbre blanc, dans lequel sont sculptées les armes de la ville d’Ille, surmontées d’une couronne de vicomte. Juste au-dessus, dans une vaste niche, Saint Etienne foule au pied les cailloux qui ont servi à sa lapidation, et porte la palme du martyre. Notre saint est surmonté de deux Tetes d’angelots, et entouré de deux vases de fleurs. Au-dessus, un cadran solaire où l’on devine la fameuse devise “ultima time”, puis la rosace centrale dont le bord denticulé rappelle l’époque romane.
Si nous faisons le tour de l’édifice par l’ouest, nous allons revoir de plus près le clocher avec ses gargouilles aux motifs animaliers. Puis vers la porte de la Fontaine, accolée contre l’ancien château, l’église témoigne du souci architectural de ses constructeurs : de grands contreforts soutiennent les chapelles latérales. Une sorte de glacis rend par endroits l’accès particulièrement malaisé à d’éventuels assaillants. Vers l’abside, les contreforts sont ornés à leurs pieds de petits pinacles en relief qui eux aussi évoquent l’art espagnol. Notons enfin cette superbe gargouille qui se détache au sommet, ou encore cette fenêtre surmontée des armes d’Ille, dont on pourra remarquer la fréquence importante dans la décoration extérieure et intérieure de l’église. A l’est enfin, nous sommes sur la Plaça del Ram, récemment amenagée avec goût, et qui abrite, outre la fontaine dédiée à J.S Pons, la Creu, cette grande croix des chemins médiévale (XVème siècle) construite à la façon des croix processionnelles. Sur les murs de l’église, les gouttières de granit sont nombreuses. Un narthex, sans doute édifié au XIXème siècle, est surmonté d’une statue de St Sébastien qui rappelle l’importance de ce saint dans la piété populaire, notamment en période d’épidémie.
Si la façade peut être considérée comme baroque, la conception d’ensemble se rattache à l’art gothique que certains ont qualifié d’attardé. Le plan utilisé est en gros celui de la plupart des églises construites en Roussillon au XVIIème et XVIIIème siècles: une vaste nef surmontée de croisées d’ogives, et entourée de chapelles latérales épaulées par des contreforts. A Ille, les chapelles sont très hautes, ouvertes sous des arcades en plein-cintre, tandis que l’étage supérieur semble “à demi escamoté”. Les lignes ascendantes dessinées par les chapelles et par les membrures des grandes voûtes sont contrebalancées par un entablement qui contourne le vaisseau, portant une balustrade en fer et une coursière. Des contreforts à l’intérieur sont percés de portes faisant communiquer les chapelles entre elles, et facilitant sans doute les processions dont on était très friand à l’époque. Le caractère gothique de la construction est accentué par le chœur, avec ses ogives et ses vitraux.
VISITE DE L’EGLISE
Nous commençons notre visite par le chœur. Précisons qu’une grande partie des renseignements ci-dessous sont empruntés à l’ouvrage que l’abbé Bonet avait consacré à Ille au début du siècle . Notre regard sera d’abord attiré par la voûte, où l’on remarque quatre clés dont l’une au moins est facilement reconnaissable, la plus grande, qui est ornée d’un Saint Etienne. Les trois autres portent deux peintures des armes d’Ille et celle d’un écu aux “armes royales françaises, de par l’histoire” . Plusieurs vitraux éclairent le choeur : il s’agit de cinq fenêtres cintrées longues de 4,65 mètres sur 0,84, ouvertes dans les années 1850. Chaque vitrail porte, en plus d’un sujet religieux, les armes de son donateur : au centre, la Nativité avec les armes des Bosch ; la nativité est entourée à droite par Sainte Anne et les armes des Terrats, à gauche par Ste Thérèse, les armes de sa famille et celle du Carmel. Aux extrémités enfin, Saint Louis de Gonzague avec les armes des Dax d’Axat, et St Benoît Labre avec les armes des Barescut. Le choeur est garni de onze stalles placées en 1896. On notera, sur le lutrin placé juste derrière le maître-autel, une belle statue du roi David jouant de la harpe. L’oeuvre date du début du XVIIIème siècle et aurait été initialement conçue pour décorer l’orgue. Son poids excessif fit qu’on plaça notre roi dans un endroit où trop peu de personnes ont l’occasion de l’admirer. Cette statue pourrait avoir été sculptée par Jacint Morato, qui réalisa les boiseries.
Le maître-autel (1736) porte la marque du style nouveau, avec son baldaquin formé par six colonnes de marbre rose. Ce marbre de Caunes se marie fort bien avec les sculptures sur bois commandées à Joseph Cantaïre : la statue centrale de Saint Etienne est entourée, ainsi que le voulait l’usage pour de très nombreux maîtres-autels, par les saints Pierre et Paul, reconnaissables l’un à ses clés, l’autre à son épée. L’entablement porte une décoration que l’on peut qualifier de baroque : un ciel aux nuages légers, d’où émergent des visages d’anges aux joues rebondies, et au centre le globe terrestre entouré de la Sainte Trinité. Aux deux extrémités de l’édifice, deux grands anges tournent leurs regards vers le centre de l’autel. Précisons que le tabernacle de marbre blanc, avec des colonnettes en onyx, fut placé en 1898.
Les quelques dates que nous avons déjà citées montrent que l’église d’Ille fut constamment enrichie par des donateurs fortunés : on peut le regretter, dans la mesure où cela nuit à l’unité du style, et où l’on aurait bien aimé voir conserver les oeuvres baroques de la première période. Cependant, à quelque chose malheur est bon, l’historien pourra remarquer combien certaines périodes ont été fécondes en donations. Pour notre église, nous avons relevé en gros trois périodes : bien sûr, en premier lieu, les années 1730-1760, où l’on s’est efforcé de décorer au mieux l’édifice nouvellement construit. Puis les années 1850, où l’on peut penser que l’épidémie de choléra de 1854 a joué un rôle important dans les motivations des fidèles. Enfin, à partir de 1890 et jusqu’au début de notre siècle, une période très féconde où les motivations politiques expliquent en grande partie la générosité des donateurs et de l’abbé Bonet, chef de file du mouvement, qui paraît avoir lui-même dépensé beaucoup pour son église : nous sommes en effet au coeur de la lutte impitoyable que se livrent depuis 1880 les partisans de la laïcité et ceux de l’Eglise. Ces quelques réflexions nous aiderons à mieux comprendre la description des chapelles. Précisons que celles-ci sont au nombre de treize : six à gauche, cinq à droite, et deux petites chapelles au fond de la nef. Auparavant, disons un mot des rosaces qui font le tour de la nef : à l’entrée, la plus grande (2,55m de diamètre) porte au centre les armes d’Ille (étendard blanc déployé surmonté d’une couronne vicomtale) et s’orne de l’inscription “Deo fidelis et patriae”. Les douze rosaces qui surmontent les chapelles latérales (1,30 m de diamètre) furent placées en 1889.
Commençons par les chapelles de gauche, et d’abord, au transept, la chapelle du Rosaire. Il s’agit d’un gigantesque retable de bois sculpté, au centre duquel trône une Vierge du XVIème siècle dont certains pensent qu’elle pourrait être la Vierge de la Rodona. Emile Delonca nous apprend en tout cas qu’en 1812 on transporta dans une chapelle de l’église Saint-Etienne toutes les décorations du maître-autel de la Rodona, encore debout à cette époque . Bruno Tollon pense que le retable du Rosaire pourrait avoir été sculpté par Antoine Domingo, domicilié à Ille et auteur du maître-autel d’Osséja en 1774. La Vierge est entourée par St Dominique et St Catherine de Sienne, les deux récipiendaires traditionnels des chapelets du Rosaire. Des panneaux historiés racontent les mystères de la vie de la Vierge. Au sommet, deux bustes sculptés en médaillons représentent Julie et Eulalie, les deux patronnes d’Elne. On remarquera l’importance du style rocaille dans les divers éléments des boiseries. En avant du retable, deux statues beaucoup plus récentes : St Vincent de Paul (1893) et Ste Cécile (1894). Remarquons enfin la Vierge du Rosaire à la clé de voûte, et les armes de la confrérie du Rosaire au linteau de la sacristie.
Passons rapidement devant la chapelle de l’Immaculée Conception (appelée au XVIIIème siècle, date de la construction du retable, Nostra Senyora de la Lluna) qui fut ornée au XIXème siècle de peintures murales dues au peintre perpignanais Chapon. Rappelons, devant cette chapelle, la présence de la tombe d’Esteve Marsal (1604), tandis qu’on trouvait devant la chapelle du Rosaire la tombe du chanoine Bonafont. La chapelle du Christ, également du XVIIIème siècle, est beaucoup plus intéressante. Oeuvre de la confrérie de la Sanch, elle frappe tout d’abord par son retable où le noir de la mort est relevé par la tache sanglante du dais sous lequel apparaît le Christ en croix que l’on portait autrefois pour la procession du soir du Jeudi saint. Selon B.Tollon, ce Christ est peut-être l’oeuvre de Joseph Navarre, dont nous savons qu’il vint à Ille à partir de 1747 pour y construire le retable de la chapelle de l’Hôpital. La statue de la Vierge des sept douleurs, que l’on portait aussi en procession le Jeudi saint, est l’objet d’une amusante anecdote que nous racontons par ailleurs. Au sommet du retable, remarquons une apothéose de St François d’Assise, un saint particulièrement vénéré à Ille, puisqu’il était notamment le saint patron du couvent des Cordeliers. Au mur droit de la chapelle, une croix des Improperis, du XVIIIème siècle, apporte un témoignage essentiel sur cette piété populaire si développée pendant la semaine sainte : on y remarque, dans un style naïf, tous les instruments de la Passion : couronne d’épine, fouet de la flagellation, éponge imbibée de fiel et de vinaigre, clous, tenailles et marteau, tunique, manteau de pourpre, lance de Longin, bourse de Judas, coq de St Pierre etc…
La chapelle de St Antoine de Padoue présente un ensemble hétéroclite mais non dénué d’intérêt. Le retable en bois date de 1893-: il est sorti de l’atelier du sculpteur perpignanais Rousseau, dont nous reparlerons avec la chapelle suivante. La statue du saint remonte pour sa part au XVIIIème siècle ; au sommet du retable, St Michel terrasse un étrange dragon à queue de sirène. Sur la gauche, une toile du XVIIème siècle propose un St Antoine de Padoue tenant sur son livre l’enfant Jésus et entouré de ses miracles les plus importants : par exemple les poissons accourus pour entendre les paroles du saint, la résurrection de l’enfant asphyxié dans l’eau bouillante ou la mule se prosternant devant l’ostensoir.
Le retable de Saint Boniface, car c’est de lui qu’il s’agit et non de St Maurice comme on le dit souvent à tort, fut entièrement construit à la fin du XIXème siècle malgré les apparences. Les commanditaires, au premier rang desquels figure l’abbé Bonet (son nom est inscrit sur un cartouche à droite du retable), l’ont voulu en tous points conforme à ces retables plateresques que l’on avait édifiés à la fin du XVIème siècle et la première moitié du XVIIème siècle. D’où ces colonnes cannelées, ces étoiles, ces feuillages ou ces épis utilisés dans la décoration. Le sculpteur Rousseau reçut une somme très importante pour prix de son travail et des matériaux utilisés : l’ensemble, y compris l’autel tombeau, est en bois blanc d’Arkangel, à l’exception d’une prédelle avec quatre panneaux sculptés racontant la vie du saint et son rôle dans l’histoire illoise, qui sont en tilleul. Rousseau acheva son oeuvre en 1896. Nous revenons dans un encadré sur Boniface et ses “exploits” à Ille. Signalons que de cette chapelle on accède, par un panneau à la droite du retable, à ce qui fut autrefois la prison de St Boniface, dont il reste la belle porte en fer forgé. L’abbé Bonet signale que lors de la construction du nouvel autel, en démolissant un escalier de pierre menant à la prison, on avait trouvé quatre boulets entassés en pyramide, et qu’il avait fiait placé deux de ces boulets en haut du retable, sur deux colonnettes.
Nous passerons rapidement sur la chapelle de N.D. de Lourdes, avec ses fresques d’un goût discutable. Déjà l’abbé Bonet se plaignait de cette chapelle, et regrettait qu’on n’eût pas conservé l’ancien autel, qui était dédié à St Eloi. Au fond de l’église, et toujours sur la gauche, se trouve l’autel du St Sépulcre, avec un Christ gisant dans un cercueil à vitrine. Remarquons, dans le pilier, une ouverture qui avait été prévue pour accéder au clocher.
Nous voilà maintenant dans la partie droite, avec toujours au fond de la nef, la petite chapelle des fonds baptismaux, restaurée en 1901, nous précise l’abbé Bonet : c’est à cette date que fut peinte la fresque ornant le mur, et que furent sculptés ce St Jean-Baptiste et ce Christ qui dominent la cuve baptismale. Le marbre de Villefranche, qui a servi à la construction du bénitier (1726), fut également utilisé pour cette cuve ainsi que pour une petite colonne piscine datée de 1722, décorée des armes d’Ille. A propos des fonts baptismaux, l’abbé Bonet nous raconte une curieuse coutume : la cuve était remplie et bénite le samedi saint, et ce jour-là elle était assiégée par près de deux cents personnes, surtout des femmes, munies de récipients divers destinés à recevoir un peu d’eau bénite : le sacristain avait en effet pour mission de remplir la cuve en entier, puis de distribuer l’eau bénie par le prêtre jusqu’à ce qu’il ne reste que le niveau nécessaire aux baptêmes d’une année. On se bousculait dans un vacarme assourdissant qui faisait chaque fois la détresse du sacristain.
Près des fonts baptismaux, la chapelle de la Mare de Deu de l’Ajuda, N.D du Bon Secours, une chapelle supplémentaire dédiée à la Vierge. Nous voici maintenant devant l’autel de Ste Lucie, une sainte dont l’abbé Bonet nous précise qu’elle était très vénérée à Ille. La sainte est surmontée de Gaudérique, le saint paysan si souvent prié en Roussillon au cours des siècles pour obtenir la pluie. Mais revenons à Lucie, sculptée au milieu du XVIIIème siècle, sans doute par l’atelier des Negre, qui tient à la main un plat contenant une paire d’yeux, symbole de son martyre, ou plutôt de sa spécialité médicale dans les guérisons miraculeuses. La pauvre vierge de Syracuse perdit certes la vue, mais son martyre contient bien d’autres atrocités qui auraient pu inspirer tout aussi bien les iconographes.
Dénoncée par son fiancé car elle avait vendu son patrimoine pour le donner aux pauvres, elle fut jugée par le consul Pascasius qui voulut la faire violer par des dizaines de débauchés ; mais Dieu intervint, et le corps de la jeune fille devint si lourd que mille hommes et mille boeufs ne purent arriver à la faire bouger d’un centimètre de la salle du palais où elle était interrogée. Pascasius, qui avait des idées assez saugrenues, pensa que cette immobilité pourrait être rompue si on déversait sur, la vierge des litres et des litres d’urine. L’opération se déroula sans résultats, et l’on fit alors allumer autour de Lucie un grand feu et jeter sur son corps de l’huile bouillante mêlée de poix et de résine. Enfin, on lui enfonça une épée dans la gorge. Mais revenons à Ille, pour dire que, selon l’abbé Bonet, la période révolutionnaire vit s’accomplir un étrange miracle que nous racontons par ailleurs.
Avec la retable de Saint Joseph, nous voici en présence d’une oeuvre datée de 1855, dont une plaque de marbre noir nous apprend qu’elle est due à “la munificence de M. Joseph Viader, Docteur en médecine, d’Ille”. Le saint, en marbre blanc, se détache majestueux sur le marbre gris de l’édifice. A noter, à gauche et à droite, la panoplie complète du charpentier, dont nous empruntons le détail à l’abbé Cazes : maillet, marteau, vrille, bédane, ciseau, équerre, fil à plomb, rabot, valet, tenailles, égoïne, poinçon, vrille, compas.
Nous voici arrivés à l’orgue, sur lequel il y aurait beaucoup à dire. Cependant nous n’aborderons pas les détails techniques avec lesquels nous sommes nous-mêmes trop peu familiarisés. Sachons que la construction fut difficile, ainsi que le signale E.Delonca
“On s’adressa le 21 janvier 1714 à un facteur d’orgues de Toulouse. ce dernier ayant livré un travail jugé défectueux, l’organiste de la cathédrale de Perpignan et celui de l’église de St Paul de Fenouillet, appelés comme experts le 6 décembre 1715, refusèrent l’ouvrage. Le facteur dut reconnaître les malfaçons ; il les attribua “aux déprédations des rats qui avaient gâté son ouvrage “. Le travail ne fut accepté qu’après une révision suivie d’une nouvelle expertise. ”
Finalement, la tuyauterie fut confiée en 1722 au dominicain Pascal Cervello . On eut apparemment moins de mal pour les boiseries : rappelons que le buffet fut commandé en 1714 à Jacint Morato, qui réalisa une oeuvre assez dépouillée, même si certains éléments de la décoration sont baroques. A noter, au fronton, la présence, une fois de plus, des armes d’Ille, et surtout, aux panneaux inférieurs, deux superbes bustes sculptés : l’un représentant Ste Cécile jouant de la harpe ; l’autre nous montre un roi David au visage tourmenté, exécuté dans un style qui nous invite à rapprocher Jacint Morato de Joseph Sunyer, dont il fut d’ailleurs l’élève, puisqu’il fréquenta son atelier de Prades. Morato fut même associé à Sunyer pour la réalisation de quelques retables, et il ne nous étonnerait pas que certaines oeuvres attribuées un peu hâtivement à Sunyer soient en réalité de Jacint Morato.
L’orgue d’Ille, est pour certains le seul orgue catalan du XVIIIème siècle construit en Roussillon. Mais revenons à l’histoire, pour préciser que la nomination de l’organiste fit l’objet d’un règlement et d’un concours. Le premier organiste fut Mossen Pere Fabre, qui mourut en 1758 et fut enterré dans l’église de l’ermitage de St Maurice, où l’on trouve encore sa plaque tombale. Au XVIIIème siècle, lui succédèrent Joan-Batiste Trillas, Joan Barizin et Anton Maffre. Au XIXème siècle, on trouve successivement Sébastien Simon, le père Narcisse, Max Pascal (originaire d’Ille et surnommé “el Nanou”), Madame Canavy, Jean Colomer, Louis Guitard, et Emile Rastaud à l’orée du XXème siècle.
L’orgue occupe la place d’une chapelle dont l’abbé Bonet précise qu’elle fut fermée par des portes de fer de façon à empêcher les enfants de s’y rassembler à l’époque du Carême pour troubler par leurs cris la dignité des offices. Peut-être fait-il allusion à cette fameuse patrica patroca, dont plusieurs auteurs ont déjà montré qu’elle était dans les églises un prétexte à de véritables charivaris où la jeunesse locale se défoulait au grand dam des prêtres, qui pour la plupart déploraient de semblables pratiques.
Notre promenade est presque terminée, puisqu’il ne nous reste plus que deux chapelles à visiter. Et d’abord celle de St Sébastien, construite en 1854, lors de la terrible épidémie de choléra. N’oublions pas en effet que Sébastien était le saint jugé le plus efficace dans la lutte contre les épidémies. La même année, les gens de Bula auraient été guéris du choléra grâce à une procession en l’honneur du saint . Le retable a été réalisé en marbre rouge de Villefranche. Sébastien est entouré de l’inévitable St Roch, autre saint spécialisé dans les épidémies, et de St Maurice, qui ne pouvait pas être absent dans notre église, tant fut important à cette même époque l’ermitage voisin de St Maurici de Graolera.
Nous revoici au transept, avec le grand retable du XVIIIème siècle construit pour là confrérie du SaintSacrement. Les travaux furent commencés en 1740, mais il semble qu’une expertise de 1746 n’ait pas donné entière satisfaction. Toujours est-il qu’en 1759 on donna à Joseph Navarre la somme de 205 livres pour compléter le retable. Au dessus du tabernacle, se dresse une statue en bois du Ressuscité. Il est entouré des deux Saints Jean, le baptiste et l’évangéliste. Des médaillons peints représentent des symboles eucharistiques. Bien sûr, le retable fut modifié à la fin du XIXème siècle, et pas forcément dans le meilleur goût on regrettera ces lourdes inscriptions qui nuisent à l’unité d’ensemble. Plus agréable, par contre, le tabernacle dû lui aussi au ciseau du sculpteur Rousseau. La clé de voûte s’orne d’un calice à l’hostie, emblème de la confrérie de la Minerva, et le linteau de la sacristie présente les lettres IS et MA, monogrammes de Jésus et Marie.
Nous n’aurons garde d’oublier, les deux chaires de Jean Chauvenet (1774), l’une ornée de l’aigle de St Jean et l’autre de l’ange de St Matthieu. Et bien sûr nous ne parlerons pas des visites pour le moins périlleuses que l’on pourrait effectuer dans cet escalier tourmenté qui mène à l’ancienne salle forte dont on a conservé les trois clés consulaires. Telle qu’elle est, avec les aménagements apportés à diverses époques, notre petite cathédrale mérite en tout cas un détour, et nous espérons que ces quelques pages, auront permis à chacun de mieux connaître et de mieux apprécier l’église d’Ille, en dehors bien sûr de tout sentiment religieux, puisque tel n’est pas là notre propos.
Bibliographie : Jean Tosti – Revue “D’Ille et d’ailleurs”